Le 8 mars 2009 ne sera pas un grand cru dans l’histoire du mouvement féministe mondial. On tentera, comme chaque année, de savoir si nous sommes dans la phase postféministe ou, comme on l’entend maintenant, post-postféministe. Ces débats abscons nous font oublier que le bon vieux féminisme première manière (pré-postféministe ?) a encore beaucoup de chemin à faire dans bien des milieux. Or, il en fait, du chemin, notamment grâce à la montée aussi tardive que fougueuse du féminisme dans la musique country américaine. Il s’agit d’une industrie musicale puissante qui cible un secteur de la population où la misogynie est bien enracinée. Les Américains ont acheté l’an dernier 48 millions d’albums country, contre 140 millions d’albums rock, 33 millions d’albums rap et 11 millions d’albums de musique classique.
Le chemin parcouru depuis une quinzaine d’années est considérable. On est loin du Stand by Your Man (1968), où Tammy Wynette invitait les femmes à appuyer leur homme même s’il leur fait «faire des choses que vous ne comprenez pas». Encore en 1986, Reba McEntire avisait son mari qu’elle serait toujours là lorsque son escapade avec Whoever’s in New England - sa maîtresse en Nouvelle-Angleterre - serait terminée. Je m’y connais un brin car, voulant accompagner mes heures d’écritures de fond musical, j’avais en 1994 une indigestion de rap et de heavy metal, alors courant sur les chaînes musicales. J’ai découvert Country Music Television, juste à temps pour l’irruption de… Shania Twain.
D’origine canadienne, elle a ouvert les vannes en 1995 en introduisant le personnage de la femme forte, narquoise, sexy et dominatrice. Avec Any Man of Mine, elle conseille à ses conjoints potentiels d’être toujours d’accord avec elle et de se délecter de ses plats, même brûlés. Le reste de sa production est à l’avenant : «Si tu ne cherches pas l’amour, je m’en vais», jusqu’à «Ça ne m’impressionne pas», dont le clip la montre refusant ses charmes à tous ses prétendants, qui ne manquent pourtant pas d’allure. En 1999, sa vidéo de Man, I Feel Like a Woman (1) la montre faisant, certes, un strip-tease partiel. Mais le message est tout autre : sa vidéo parodie les femmes objets - les choristes identiques se trémoussant derrière Robert Palmer dans Addicted to Love, en 1985 - en les remplaçant par des hommes objets, qui occupent la même fonction dans sa propre vidéo.
La digue est brisée : Deana Carter montre, en 1996, qu’on peut critiquer la gent masculine dans le désopilant Did I Shave my Legs for This ? (ai-je rasé mes jambes pour ça ?) et Mindy McCready sort la même année une ode à la liberté et à l’égalité, Guys Do It All the Time (les gars le font tout le temps). La marche suivante fut montée par celles qui ont plaqué leur conjoint. Elles sont nombreuses, mais on retient qu’en 1998, dans Bye Bye, Jo Dee Messina va jusqu’à arracher son rétroviseur pour ne plus voir son ex. En 2001, Martina McBride montre dans un clip hilarant la fugue d’une belle du Sud défiant les conventions dans When God-Fearin’ Women Get the Blues (quand les dévotes ont «les bleus»). Même le très mâle Aaron Tippin prend le parti des femmes en 2000. Dans Kiss This, une mariée laissée seule à l’autel boit son chagrin lorsque son ex-futur mari la retrouve au bar et tente de la charmer. Elle lui assène la liste de ses défauts devant la clientèle, qui l’encourage et l’applaudit. Cet humour est remplacé par l’acier trempé, en 2005, par Sara Evans dans Cheatin’, chanson où le mari volage est maintenant désargenté et esseulé. La chanteuse n’a pas la moindre empathie pour lui. «Tu aurais dû y penser, lance-t-elle, quand tu me trompais.» Puis, en 2006, Carrie Under-wood frappe fort - avec une batte de baseball sur les phares de la voiture de son copain ! Dans Before He Cheats (avant qu’il me trompe), la colère s’exprime avant même que le goujat passe à l’acte. Le thème le plus dur est celui de la violence conjugale, d’abord abordé par un homme, Garth Brooks, en 1991, dans The Thunder Rolls (le tonnerre gronde). Martina McBride le ramène en 1993, dans Independence Day. Une femme battue préfère périr avec son conjoint dans l’incendie de la maison familiale plutôt que de continuer à subir ses affronts. «Laissez les bons avoir tort, laissez les faibles être forts», répète le refrain. Le ton est sombre et grave. (La musique d’Independence Day fut utilisée lors des assemblées de Sarah Palin, candidate républicaine à la vice-présidence et pro-vie. Mais le compositeur, un démocrate, proteste et se venge à sa façon en donnant les redevances tirées des ventes de la chanson à des groupes pro-choix.) En 2000, les Dixie Chicks créent la controverse avec Goodbye Earl, une chanson et un clip où un groupe d’amies assassinent Earl, un batteur de femmes. Le tout dans la bonne humeur, sur une musique enjouée, sans le moindre regret pour cette «personne manquante qui ne manque à personne». Même le cadavre danse dans la scène finale. La réplique masculine est plus bon enfant que revancharde. En 2001, le baraqué Toby Keith met en scène, dans I Wanna Talk About Me, des hommes qui veulent bien écouter leurs copines parler de leurs états d’âme, mais qui, de temps à autre, veulent aussi s’exprimer. Des rednecks [ploucs, ndlr] cherchant à communiquer, c’est un pas en avant.
La palme revient cependant à Brad Paisley, qui, en 2001, interprète dans I’m Gonna Miss Her (The Fishing Song) un pitoyable amateur de pêche prêt à partir taquiner le poisson. Son épouse (jouée par sa véritable conjointe dans le clip) lui barre le chemin : «Choisis : les poissons ou moi !» Paisley rétorque en regardant la caméra : «Elle va me manquer…» En 2007, Paisley est encore sur la défensive. Dans I’m Still a Guy (je suis toujours un gars), il défend sa masculinité contre les hommes «efféminés» qui se maquillent et arborent des mèches. «Quand tu vois un cerf, tu penses à Bambi, moi, à un beau panache accroché sur mon mur», chante-t-il à sa compagne, sans agressivité. C’est Jewel - artiste pop qui a adopté la country - qui résume le parcours des femmes en 2008, dans Stronger Woman. Elle fait ses valises pendant la nuit et se promet de ne plus jamais être soumise, car «il y a une femme forte en moi».
Dernier ouvrage publié : Pour une gauche efficace, aux éditions du Boréal. (1) A voir sur http://cerium.ca/country
thanu
Messages : 312 Date d'inscription : 05/11/2008 Age : 45 Localisation : Paris
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Mer 8 Avr - 12:30
Intéressant en effet. Je remarque que c'est signé par un Canadien...
Mais comme le souligne un commentaire sur libe.fr, c'est une vision un peu étriquée du féminisme que toutes ces femmes qui se rebellent par la violence et seulement par la violence... (comme Miranda Lambert sur plusieurs de ses chansons)
Je cherche dans ma tête de véritables chansons féministes dans la musique country... Dolly Parton a bien du en écrire... aide-moi Laurent!
thanu
Messages : 312 Date d'inscription : 05/11/2008 Age : 45 Localisation : Paris
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Mer 8 Avr - 13:03
Ben d'abord "9 to 5" où avais-je la tête? une chanson féministe ET socialiste pour le coup!
thanu
Messages : 312 Date d'inscription : 05/11/2008 Age : 45 Localisation : Paris
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Mer 8 Avr - 13:05
Cette chanson est citée dans l'article. J'adore, c'est à la fois hilarant et pathétique. La chanteuse est marrante.
Laurent Admin
Messages : 3258 Date d'inscription : 12/10/2008 Age : 48
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Mer 8 Avr - 16:38
Ah merci pour Deana Carter, parce que si j'ai écouté le dernier album, je suis passé totalement à côté de ce qu'elle a fait auparavant. Je l'ai même pas reconnu du coup au départ
Concernant Dolly Parton, celle qui me vient à l'esprit est "Just Because I'm a woman" de 1967, qu'elle a reprise en 2003 pour l'album hommage qui s'appelait d'ailleurs comme ça.
I can see you're disappointed By the way you look at me And I'm sorry that I'm not The woman you thought I'd be Yes, I've made my mistakes But listen and understand My mistakes are no worse than yours Just because I'm a woman
So when you look at me Don't feel sorry for yourself Just think of all the shame You might have brought somebody else
Just let me tell you this Then we'll both know where we stand My mistakes are no worse than yours Just because I'm a woman
Now a man will take a good girl And he'll ruin her reputation But when he wants to marry Well, that's a different situation
He'll just walk off and leave her To do the best she can While he looks for an angel To wear his wedding band
Now I know that I'm no angel If that's what you thought you'd found I was just the victum of A man that let me down
Yes, I've made my mistakes But listen and understand My mistakes are no worse than yours Just because I'm a woman
No, my mistakes are no worse than yours Just because I'm a woman
hillbilly
Messages : 139 Date d'inscription : 29/09/2009
Sujet: Encore un sujet que j'aime bien Ven 2 Oct - 12:48
Hi,
je vous en propose mon approche :
Lorsque le Old Time se résumait à quelques "string bands" éparpillés au cœur des Appalaches, les dames n'avaient guère d'opportunité d'exercer leurs talents au sein d'un milieu machiste si ce n'est pour encourager pudiquement pères, frères où époux lors d'un quelconque "contest".
Si dans l’univers du Blues, les divas du genre s’imposent dès les années vingt, il est tout autrement pour leurs homologues country. En 1924, la Columbia Broadcasting Systèm enregistre le duo Aunt Samantha Baumgarner (1878-1960) / Eva Davis, respectivement banjoïste et fiddler. Une première, timidement suivie par quelques autres telles Roba Stanley (1908-1986) où Billie Maxwell (1906-1954). Les statistiques pour l’époque sont révélatrices avec de 3 à 5% d’enregistrements crédités à des leaders où des formations féminines. Pour l'essentiel, les représentantes du beau sexe doivent se contenter d'accompagnement de second plan, discrète petite touche de charme dans un monde de brutes. Personnage baptisée «Sweetheart» pour une figuration au même titre que le comique de service, les deux pouvant se confondre. Moonshine Kate, la fille de Fiddlin’ John Carson fut l’une d’elle, son type de personnage prendra de l’ampleur avec l’arrivée de Minnie Pearl, figure légendaire de l’émission Hee Haw puis du Grand Ole Opry. Les Coon Creek Girls ouvrent la voie aux futurs "Girl’s Band" dans les années 30 et 40. Toutefois, seules les Girls From The Golden West parviennent à décrocher un succès médiatique durant cette période.
Le succès conséquent de la Carter Family et sa majorité féminine sera l'exception ponctuelle, avec la reconnaissance de l'influence musicale prépondérante du jeu de Maybelle Carter sur le groupe. De son coté, Patsy Montana ouvre une brèche dans le mur de la misogynie Country et s'impose à titre solo, au beau milieu des Singin' Cowboys Hollywoodiens.
Au début des années cinquante, Kitty Wells (alias Muriel Deason Wright) se produit en second plan du duo que forment Johnny And Jack (elle est l'épouse de Johnny Wright). Lasse de l'image imposée à la femme dans les milieux Country de Nashville et d'ailleurs, Kitty commence à prôner une certaine libération de la femme par l'intermédiaire de textes revendicatifs pas toujours très bien perçus de l'Establishment. Néanmoins soutenue par le public qui la compare à Hank Williams, Kitty s'impose régulièrement en tête des charts, sachant préserver la susceptibilité des mâles en conservant l'apparence physique traditionnelle de la femme du Sud (elle vend des bouquins de recettes de cuisine après ses shows).
Figure emblématique du Nashville Sound, Patsy Cline fut pour beaucoup dans l'évolution de l'image des femmes dans la Country Music. Bénéficiant d'une popularité nationale dépassant le cadre de Nashville, elle impose une image plus pétillante, voire gentiment délurée. L'Opry s'offusque cependant de ses tenues vestimentaires et lui interdit le port du pantalon sur scène. En ce début des années soixante, Jean Sheppard est la première dame à utiliser une formation masculine, jusqu'ici, les dames se contentaient des second rôle. Outre une voix exceptionnelle, Dolly Parton bénéficie d'une silhouette hors du commun. Femme de tête et personnalité scénique de premier ordre, elle saura l'exploiter et s'invente une image sexy mais non sulfureuse qui titille la libido du public masculin sans le choquer au risque de se voir affubler d’une image de «Barbie Country», fantasme de vieux sénateur Dixiecrat, au détriment d’une personnalité artistique d’exception (et d’un sens des affaires remarquable). Une subtilité étrangère à la toute jeune Tanya Tucker dont les frasques de jeunesse faillirent bien lui coûter sa carrière. Les années 70 seront marquée par l'arrivée de nombreuses artistes féminines au "look" tapageur au moins aussi kitch que les tenues de leurs homologues masculins. Autre grande figure de la décennie, Tammy Wynette dont la vie fut marquée par les épreuves, y compris après son accession au statut de star : époux brutaux, enlèvement, santé fragile… Idole des classes populaires, Tammy Wynette n’eut de cesse d’user de son influence pour assurer la reconnaissance des artistes féminines, une grande dame méconnue du grand public empressé de ne voir en elle la femme soumise à son époux en prenant à la lettre le texte de «Stand By Your Man». Témoin la célèbre bourde d’Hillary Clinton qui valu de devoir s’excuser platement à la première dame du pays envers la «First lady Of Country Music ». Une image parfois lourde à assumer encore aujourd'hui pour la crédibilité de la Country Music auprès du grand public.
Influencée par le milieu du Country Rock Californien, Emmylou Harris quant à elle démontrera que si elles durent longtemps demeurer en retrait, les femmes n'en ont pas moins des opinions personnelles et qu'elles ne demandent pas mieux que de les exprimer. Encore un coup porté aux bastions conservateurs de Music City.
De flirter ouvertement avec le marché de la Pop Music aura eu au moins un aspect clairement positif pour les artistes féminines, celui de permettre aux dames d'obtenir un statut pratiquement égal à celui des artistes masculins. Reba McEntire, tout comme Dolly Parton, s'avère être une artiste d'une classe exceptionnelle doublée d'une femme d'affaire avisée, mais débarrassé de cette image un peu caricaturale développée par son aînée. Quant aux autres représentantes du genre, elles font désormais jeu égal avec leurs homologues masculins y compris dans le domaine des ventes de disques, voir les performances étonnantes de la canadienne Shania Twain. Cette dernière n’hésite d’ailleurs pas à brocarder la gente masculine en chanson et dans ses clips.
Plus récemment le talentueux trio des Dixie Chicks n’hésitera pas à tancer vertement le Président Bush Junior s’attirant les foudres virulentes de l’establishment conservateur de Music City.
Hee haw
Laurent Admin
Messages : 3258 Date d'inscription : 12/10/2008 Age : 48
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Dim 4 Oct - 14:48
Oh merci, c'est super intéressant de remonter aussi loin, et de faire ce parallèle avec le blues où il y'a eu très tôt des stars féminines libérées et crédibles en tant qu'artiste !
Pensez vous que Toby Keith ou Brad Paisley sont plus machos qu'ils ne le montrent ?
hillbilly
Messages : 139 Date d'inscription : 29/09/2009
Sujet: Re: Le féminisme dans la country Lun 5 Oct - 7:25
Hi,
Merci,
Pour ce qui est de Paisley & Keith, je t'avoue qu'il m'est difficile de répondre ne pouvant me fier qu'aux images médiatiques respectives de nos deux lascars et quelques interviews de ci de là.
Je pense néanmoins que Paisley est peu être moins gentil garçon qu'il n'y paraît; ne serait ce que pour avoir réussi à s'imposer de brillante manière auprès de l'establishment de Music City, il ne m'apparaît pas néanmoins plus macho qu'un autre, ce n'est pas me semble t'il l'héritier de Hank junior.
Toby Keith lui, est certainement moins "bourrin" que son image et ses clips ne le laisse supposer. Ses positions et analyses politiques (il est depuis toujours revendiqué démocrate) son plus fines que ça. Mais en revanche, son image de Country Boy à l'ancienne ne plaide pas pour une finesse absolue, un peu comme Trace Adkins par exemple. Mais que veux tu, les machos plaisent, y compris aux plus jeunes, regardes l'image du Rap !
Hee Haw
P.S. dégats des eaux ce week end dans ma salle de bain, du coup, pas de Kinky Friedman demain soir... Damned !